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Le point de vue de Bernard Egger (APMEP), septembre 2013

Egger

Quel avenir pour notre discipline ?

Bernard Egger, président de l'Association des Professeurs de Mathématiques de l'Enseignement Public (APMEP)

Depuis le premier juillet, j’ai le plaisir d’être le nouveau président de l’APMEP, association des professeurs de mathématiques… Mon mandat durera entre un et quatre ans. Malgré l’érosion militante qui touche presque toutes les associations, j’ai bon espoir de passer la main avec un nombre encore important d’adhérents, mais qu’en sera-t-il pour mes successeurs ? Parviendra-t-on à juguler l’extinction progressive de cette espèce de plus en plus rare qu’est le prof de math ? La question mérite d’être posée.

Sans apporter de grandes nouveautés, le rapport de la Cour des Comptes de mai dernier met pertinemment l’accent, une fois de plus, sur cette évidence qu’est la crise du recrutement. En math, et plus généralement en sciences, nous avons, depuis quelques années déjà, une première explication structurelle qui concerne tous les pays : la baisse importante des orientations post-bac vers des voies scientifiques (hors médecine). Avec le gouvernement précédent, d’autres difficultés sont apparues, liées à la masterisation. Le recrutement à bac + 5 est souvent invoqué comme l’une des principales causes de la désaffection des étudiants vis-à-vis des concours d’enseignement. Pour les plus optimistes, nous serions au point le plus bas. La politique volontariste du nouveau gouvernement et le passage du concours en fin de M1 devraient selon eux avoir des effets positifs rapides en ce qui concerne le nombre de candidats. Ils ne nient pas que, selon le titre d’un article du Figaro de février dernier, « enseigner ne fait toujours pas rêver », mais relativisent les conséquences de l’image du métier de professeur auprès du grand public. Pour les plus pessimistes, c’est justement cette image qui fait problème. Ils invoquent une dégradation générale du métier : de plus en plus difficile et mal payé. Des obligations de service de plus en plus lourdes, mal définies et mal reconnues par l’Administration se combinent avec une évolution du comportement des élèves qui deviennent plus difficilement contrôlables. Le seul point positif du métier serait alors le fonctionnariat, mais malgré la crise, on sent bien qu’il ne fait plus recette. Les analyses, les constats transcendent largement le clivage droite-gauche.

Une réforme arrive, les IUFM ont disparu, les ESPE sont là. Ces changements sont-ils susceptibles de répondre à la baisse tendancielle du nombre de candidats que l’on constate depuis 2003 ? D’ores et déjà, des difficultés s’annoncent. Un certain flou entoure encore les nouveaux concours. Il semble bien qu’à l’heure actuelle, les questions liées à la formation ne soient pas réglées. De subtils équilibres entre disciplinaire et didactique sont en négociation. En un certain sens, ce qui en sortira définira (pour un temps) la figure institutionnelle du prof de demain. C’est un enjeu important. Rien n’est simple : aux évidentes différences de conceptions de l’enseignement s’ajoutent des disparités géographiques, autonomie des universités oblige. Malgré les difficultés qui seront nombreuses, on peut faire confiance aux acteurs impliqués dans ces « négociations » pour aboutir à un résultat satisfaisant.

Mais la question est de savoir si les réponses apportées seront de nature à inverser la tendance. Un nouvel équilibre dans les contenus de formation est sans doute nécessaire pour permettre à de jeunes enseignants une meilleure entrée dans le métier, mais rien ne changera tant que la question du statut des enseignants ne sera pas abordée. C’est un problème délicat, puisque les réponses qu’on lui apportera devront dire ce qu’est un professeur, quels sont ses droits et ses devoirs, ses obligations de service, quelle est sa position par rapport à l’administration, à ses pairs, aux élèves, aux parents… Elles doivent aussi répondre à la question cruciale de la formation continue, bien insuffisante dans le système actuel et, dans un avenir proche, à celle des carrières longues.

Si l’on ne se penche pas rapidement sur ce problème, la situation actuelle risque de perdurer : un effritement du nombre de candidats aux concours, accompagné d’une inévitable baisse du niveau moyen et des réticences légitimes pour les jurys à donner tous les postes (32% de postes non pourvus au CAPES de math 2013, sans compter que parmi les 818 admis, 64 ont eu également l’agrégation, et donc en fait 38% des postes non pourvus).

Dans les établissements secondaires, la situation est grave ou va le devenir. De moins en moins de remplaçants, de plus en plus d’heures supplémentaires, des classes très chargées. De nombreuses revendications (plus de postes, des classes moins remplies…) seront réduites à néant faute de candidats. Reste le salaire…

Des conséquences qui ne devraient pas pousser plus d’étudiants à se diriger vers l’enseignement.

Ce que l’on risque, ce que les mathématiques risquent, c’est une solution très simple, que l’on demandera d’entériner a posteriori à coup d’arguments pédagogiques et de comparaisons avec d’autres pays : diminuer encore le nombre d’heures de math. Une heure de moins en collège et la crise du recrutement est réglée comme par magie. Il ne faut pas être dupe : nos gouvernants, quels qu’ils soient, y ont pensé. Si nous ne voulons pas voir arriver ce mauvais coup, il s’agit de mettre rapidement à plat les différents aspects du métier (tâches, évaluation des enseignants, formation, travail en équipes,…), de réfléchir au recrutement, à la place des concours, à celle d’un vrai prérecrutement, de se poser la question des contenus de formation en fonction des niveaux d’enseignement…

Ce serait évidemment une réforme d’une plus grande ampleur que celle qui nous est proposée, et politiquement risquée pour n’importe quel gouvernement.

Toutes les composantes de l’éducation doivent être associées à cette réflexion. Les sociétés savantes, les associations de professeurs ont toute leur place au côté des syndicats, des associations de parents d’élèves, des acteurs institutionnels…

Il s’agirait de permettre l’émergence d’un nouveau vrai métier : celui du professeur de mathématiques du XXIe siècle. Il ne peut plus se résumer à un savoir universitaire, qui certes permet de prendre du recul par rapport au contenu à enseigner, mais ne correspond qu’à une partie des tâches à accomplir. La formation, son évaluation doivent prendre en compte la diversité des situations que ce nouvel enseignant rencontrera. Un savoir mathématique solide est indispensable, mais il doit de plus en plus être accompagné par des connaissances didactiques et épistémologiques, sans oublier une maîtrise des technologies de l’information. Il est très difficile pour un enseignant de math de devenir ingénieur, nous savons tous que le contraire est assez fréquent. Il y a un vrai métier d’ingénieur avec des savoir-faire bien spécifiques, et encore maintenant, la possibilité pour quiconque sait des maths de se retrouver devant une classe. Il n’y a donc aucune expertise propre reconnue au professeur. Mais les changements dans l’exercice du métier sont tels qu’ils nécessitent une refondation de grande ampleur de la formation initiale et continue, avec, à terme, l’identification et la reconnaissance sociale de cette expertise.

L’image du professeur est dégradée dans le public, mais elle est peut-être encore plus largement dégradée chez les enseignants eux-mêmes. Ils souffrent d’une vraie crise de confiance. Beaucoup ne se reconnaissent pas dans cette école et les changements successifs qui leur sont proposés ne facilitent pas leur adhésion à un projet éducatif commun. Il existe un stress quotidien dans les établissements. L’institution peut sans doute prendre des mesures simples pour l’atténuer. Quant aux associations comme l’APMEP, elles doivent continuer à être des « lieux » de rencontres et d’échanges, mais aussi de véritables forces de propositions dont la place doit être reconnue pleinement par l’institution.

Bernard Egger le 20 août 2013

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