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Le point de vue de Martin Andler (Animath), mars 2014

Qu'est-ce que les activités périscolaires peuvent
apporter à la formation en mathématiques ?

Martin Andler, Université de Versailles St Quentin et association Animath

AndlerSommes-nous, enseignants de mathématiques du second degré comme enseignants, enseignants-chercheurs et chercheurs dans le Supérieur suffisamment conscients de l'ampleur de la crise de notre enseignement ? On peut en douter, alors que les signes de cette crise sont là, sous nos yeux, depuis des années, et que la récente publication de l'étude Pisa n'a fait que confirmer (Pisa 2012 Results, What students know and can do, OCDE).

Ce dont nous sommes tous conscients, et dont nous souffrons très directement, est d'un côté le manque d'étudiants dans nos licences et nos masters, et de l'autre la perte des heures d'enseignement et le sentiment d'un inexorable déclin des programmes de mathématiques dans le Secondaire. Mais ces problèmes ne sont qu'un aspect de quelque chose de plus profond :

    • l'échec actuel de la démocratisation de l'enseignement, échec dont les mathématiques sont un aspect important. A cet égard, les chiffres de Pisa, que personne ne conteste, sont accablants : plus de 22% de nos élèves sont aux plus bas niveaux (niveaux ≤1) (les élèves sont classés en 7 niveaux par ordre croissant, de ≤1 à 6) en mathématiques et la France est un des pays où la corrélation entre échec scolaire et origine sociale est plus le-plus élevé : lorsque l’on compare les performances en mathématiques des 25% des élèves les plus favorisés, et celle des 25% des élèves les moins favorisés, l’écart pour la France est le plus grand de tous les participants au cycle PISA 2012 ;
    • les discriminations de fait qui affectent l'enseignement des mathématiques, tant dans la capacité à intégrer les populations d'origine étrangère que dans les écarts de performance et de destin entre filles et garçons ;
    • l'incapacité du système, dès la fin du collège, à produire un nombre suffisant de jeunes correctement préparés pour des études scientifiques : nous avons, dans Pisa 2012, 9,8% d'élèves au niveau 5 et 3,1% au niveau 6, ce qui nous place au dessus des Etats-Unis et du Royaume-Uni, mais très en dessous de pays comparables comme l'Allemagne (respectivement 12,8% et 4,7%) ou la Belgique (13,4% et 6,1%) ; concrètement, cela signifie qu'en supposant que la 1ère S attire tous les meilleurs, un tiers des élèves de 1ère S étaient au niveau ≤4 en mathématiques en Seconde ;
    • une impasse pédagogique dans laquelle se trouve notre enseignement à tous les niveaux, sauf peut-être celui qui concerne la formation des futurs chercheurs : 1° notre enseignement de mathématiques fait souffrir une majorité d'élèves ; 2° ceux-ci ont bien du mal à donner un sens à ce qu'ils apprennent (la question du sens me paraît être la bonne manière d'appréhender le reproche fait souvent à l'enseignement des mathématiques d'être trop théorique ou trop abstrait ; 3° ils ont, par rapport à ce qui leur est enseigné en général et en mathématiques en particulier, une attitude passive.

Pour résumer, nos quatre problèmes principaux sont à mon sens :

  • l'inégalité des chances, qui a une dimension sociale, géographique et de genre ;
  • la difficulté à gérer les deux extrémités de la cohorte : les très faibles ainsi que les plus forts ;
  • le manque de sens porté par notre enseignement, au delà de l'acquisition de techniques ;
  • une philosophie de l'enseignement qui privilégie la reproduction plutôt que le développement de l'autonomie des élèves.

Ces questions engagent le système éducatif dans son ensemble, depuis la formation initiale et continue des maîtres, l'organisation des établissements, la constitution des équipes pédagogiques, la capacité des enseignants à s'engager dans des pratiques pluri-disciplinaires, les programmes, la pédagogie... Mais le périscolaire peut apporter sa contribution pour les résoudre.

Que visent en effet les différentes activités périscolaires mathématiques proposées aujourd'hui (*), avec de vrais résultats, même si leur impact quantitatif reste trop modeste ?

1. En proposant des activités ciblées vers les jeunes issus des zones socialement et géographiquement défavorisées, on peut y enclencher des dynamiques fortes, tant directement chez les jeunes que dans les établissements.

2. En s'adressant de manière spécifique aux filles, on peut les aider à franchir la barrière des stéréotypes et à s'engager dans des études scientifiques.

3. En proposant à des jeunes de s'engager dans la réalisation de projets scientifiques en groupe, on parvient à mobiliser des jeunes en situation de décrochage ou de quasi-décrochage.

4. En organisant des actions destinés aux jeunes les plus motivés issus de tous les établissements, plutôt qu'aux seuls lycées sélectifs des centre-ville, on rétablit un élément important d'égalité des chances.

5. En mettant les mathématiques en perspective, par le contact avec la recherche, avec les applications, avec leur rôle dans la vie des entreprises, mais aussi avec l'art, on sort notre discipline du cadre purement académique pour donner un véritable sens à leur apprentissage.

6. Et, ce qui me paraît personnellement le plus important, on ouvre aux élèves des espaces de liberté, des moments où elle et ils s'approprient leurs envies, leur destin, et donc la voie vers le développement de leur autonomie.

On pourra estimer qu'il y a dans cette description la manifestation d'une coupable naïveté. Les obstacles sont évidemment considérables, avec un risque réel que ces activités restent marginales, qu'en fin de compte, elles creusent plutôt que comblent le fossé social qui s'est creuse au cœur de l'Ecole, et plus généralement qu'elles contribuent à décrédibiliser plus encore le système scolaire lui-même. Assumons la part de risque, mais en nous engageant plus fortement dans la voie du développement des activités périscolaires. C'est ce processus qui est à l'œuvre avec le projet Cap'Maths (**).

Martin Andler, le 26 février 2014

(*)  Le format d'un court éditorial ne se prête pas à une énumération des très nombreuses actions menées un peu partout en France par les acteurs des activités périscolaires. On pourra s'en faire une idée sur les sites www.cap.maths.fr et www.animath.fr – qui eux-mêmes renvoient sur de très nombreux et riches sites partenaires.

animath

(**) Voir en particulier l'appel à projet de Cap'Maths, en ligne, date limite d'envoi des propositions le 31 mars.

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