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Le point de vue de Laurence Broze (femmes et mathématiques), juillet 2014

Pourquoi si peu de filles dans les études de maths ?

Laurence Broze, présidente de femmes et mathématiques, 23 juin 2014

Broze

Voilà plus de 20 ans que l’association femmes et mathématiques multiplie les actions (1) à destination des jeunes filles. Il s’agit de leur faire découvrir la richesse et l’intérêt des études et des métiers des mathématiques, et aussi de les aider à élargir leurs horizons d’études d’abord, professionnels ensuite. Un tel objectif de diversification ne concerne pas seulement les métiers des mathématiques : sur un total de 87 familles de métiers, on le sait, près de la moitié des femmes se concentrent sur à peine une dizaine d’entre elles (2).

Les causes de la ségrégation professionnelle sont multiples ; les petites filles sont soumises à de nombreux conditionnements, inconsciemment véhiculés par leur environnement familial, social, scolaire, par les médias, les livres, les manuels scolaires, … Une prise de conscience s’amorce mais les résistances demeurent fortes. La confusion qui a entouré la récente controverse autour d’une supposée « théorie du genre » en attesterait, s’il le fallait. La lutte contre les stéréotypes sexistes relève pourtant d’une urgence cruciale si l’on veut favoriser l’éclosion de tous les talents et permettre aux filles, comme aux garçons, d’avoir pleinement accès à une orientation aussi librement choisie que possible.

Rappelons la distorsion de fait entre les compétences des filles et le cursus qu’elles « choisissent ». Les compétences des filles ne sont pas en cause. En 2012, 89 % des filles et 83 % des garçons qui se sont présentés au brevet des collèges l'ont obtenu ; 91 % des filles et 90 % des garçons qui se sont présentés au baccalauréat général l'ont obtenu. Le taux de réussite des filles au baccalauréat est supérieur à celui des garçons dans toutes les séries. En fin de collège, pourtant, quand ils se jugent très bons en mathématiques, 8 garçons sur 10 déclarent vouloir aller en série S alors que seulement 6 filles sur 10 formulent la même envie (3). Plus généralement, les garçons acceptent plus volontiers que les filles de se lancer dans des choix d’études qu’ils ne maîtrisent pas solidement.

Non seulement donc les filles s’orientent moins que les garçons vers la série S mais, lorsqu’elles le font, elles choisissent davantage la spécialité Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) et entrent ensuite massivement en première année commune aux études de santé (PACES). Sans le mesurer réellement, mais avec le soutien fort des stéréotypes liés à la féminisation des métiers du soin, elles s’engagent ainsi dans une des filières les plus sélectives de l’enseignement supérieur.

Les récentes réformes introduites dans les programmes ne permettent pas, à notre avis, de renforcer la présence des filles dans les cursus de mathématiques. Une analyse approfondie mériterait d’être entreprise par l’ensemble de la communauté pédagogique. Nous lançons ici quelques pistes de discussion.

Au niveau du collège, trop d’élèves, y compris des élèves à fort potentiel, s'ennuient en classe de sciences, et peut-être encore davantage en cours de mathématiques : la gamme des exercices spontanément intéressants où ils et elles peuvent développer leur créativité et exercer leur capacité de réflexion est moindre. L’histoire des idées et des concepts mathématiques est insuffisamment mobilisée. De plus, le lien avec la « vraie vie » est rarement fait alors que, par exemple en SVT, il est question de nutrition, de maladies, de pollution de l’eau ou de l’air, autant de thèmes en relation avec les préoccupations d’actualité. Quel sens ont les mathématiques au collège aujourd’hui ? Quel est le cœur de l’activité mathématique ?

Pourtant, le plus souvent les élèves forment leurs choix d’orientation au collège, et c’est encore plus vrai pour les filles, souvent plus mûres à ce moment de leur scolarité. Si les mathématiques ne les ont pas un tant soit peu accrochées, alors elles choisiront peut-être la filière S parce qu’elle est réputée être la voie des bons élèves, celle qui ouvre à toutes les filières de l'enseignement supérieur, mais pas avec l’idée de faire des études de mathématiques.

Le problème s’aggrave au lycée en filière S : beaucoup de notions et de techniques mathématiques y sont vues trop superficiellement et ne sont donc pas vraiment maîtrisées par les élèves. C’est ainsi que croît leur manque de confiance en leur aptitude à s’engager dans des études mathématiques. Or les filles, davantage que les garçons, ont besoin de se sentir rassurées et bien préparées pour entamer des études.

Un travail de fond est nécessaire pour aller vers une démocratisation de l’accès aux études et aux métiers des mathématiques. Une partie de celui-ci ne pourra se faire sans la mobilisation de la communauté éducative. La récente intégration de l’association femmes et mathématiques au sein de la CFEM montre la volonté de s’engager dans ce débat. Encore faudra-t-il que l’effort fait n’aboutisse pas seulement à régler le problème du manque de candidats au Capes et à l’agrégation de mathématiques, mais qu’il permette aux filles d’avoir accès, comme les garçons, à tous les métiers des mathématiques.

Laurence Broze, le 23 juin 2014

[Ce texte a été élaboré avec l’aide d’Annick Boisseau et de Véronique Slovacek-Chauveau]

(1) Parmi ces actions, on peut citer les journées : « Les filles et les maths : une équation lumineuse » à destination des élèves de la Seconde à la Terminale, les Ambassadrices pour les Sciences, à destination des élèves de Terminale, et le Forum des jeunes mathématicien-ne-s, à destination des étudiant-e-s en thèse et, bientôt, en master.

(2) « La répartition des hommes et des femmes par métier », Analyses, n°79, décembre 2013, DARES.

(3) Champ : France métropolitaine. Source : MENJVA-MESR DEPP, panel de la DEPP – Élèves entrés en sixième en 1995.

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