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Le point de vue de Fabrice Vandebrouck, juin 2016

Les IREM dans l’Astratégie mathématiques

Fabrice Vandebrouck, président de l'Assemblée des directeurs d'IREM (ADIREM)

Vandebrouck

Mille cinq cent mots ne suffiront pas pour dire toute l’amertume que j’éprouve un an et demi après l’annonce du plan Stratégie Mathématiques en décembre 2014. La DGESIP (Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle) a choisi cette période pour rabaisser notre dotation ADIREM à un niveau tout juste acceptable, alors que l’effort qui avait été fait en 2015 nous avait laissé penser que la formation continue redevenait effectivement une priorité du ministère. Cela n’est pas sans conséquence concrète ! Par exemple au lieu de diffuser sans trop compter, en toutes occasions et sous tous formats, les ressources produites au niveau national, nous serons à nouveau obligés de les rentabiliser ; cela signifie malheureusement les vendre à un prix pas forcément attractif ou bien ne les rendre accessibles que sous la seule forme numérique, dont la visibilité et l’impact auprès des enseignants sont alors moindres. Ce sera le cas bientôt du premier volet de la brochure CORFEM et surtout le cas de la ressource sous presse sur Geogebra, produite par la Commission inter-IREM TICE, dont trop peu d’exemplaires imprimés vont pouvoir permettre la promotion et soutenir la diffusion. Mais ces occasions bien manquées de formation continue ne sont que quelques arbres qui cachent une forêt bien plus consternante.

Des formations initiales et continues renforcéesstratégie mathématiques

On nous expliquait (mesure 4 de la Stratégie mathématiques) que les formations initiale et continue des enseignants de mathématiques seraient renforcées et que la dynamique de formation continue serait soutenue. Qu’avons-nous de mieux 18 mois après ces annonces ? Les Plans Académiques de Formation ont continué à fondre – je veux dire les formations didactiques, c’est-à-dire prenant en compte les spécificités des contenus mathématiques à enseigner. La réforme des collèges a certes drainé des formations transdisciplinaires mais dans la plupart des cas elles ne répondaient pas aux besoins didactiques des collègues : quels contenus, quelles ressources ou quelle place des mathématiques dans les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires ? Quelle algorithmique articulée avec les apprentissages algébriques ? Mais mieux : la lettre décrivant les priorités nationales 2016/2017 du ministère pour la formation continue et diffusée dans les rectorats le 3 février 2016 liste pour les formations continues des enseignants du second degré 11 priorités ignorant superbement la stratégie mathématiques. Comment espérer alors qu’au niveau des rectorats il y ait une réelle impulsion ? Quelle est la portée d’une Stratégie mathématiques si elle n’est pas même pas appuyée par la DGESCO (Direction générale de l'enseignement scolaire) elle-même ?

Des recherches mieux valorisées dans la formation

On nous promettait aussi (mesures 3 & 4) que les formations initiale et continue gagneraient à s’enrichir des recherches et des innovations menées en France et à l’étranger ; que les recherches dans le domaine de la didactique et de la pédagogie seraient mieux diffusées ; que les compétences des formateurs seraient renforcées… Qu’avons-nous 18 mois après ces annonces : bien que toujours disponibles, les formateurs IREM et les ressources produites dans les groupes IREM sont toujours peu ou pas exploitées par les rectorats. Des formateurs académiques sont recrutés, mais, bien que compétents, ils ne peuvent pas restituer seuls tout le recul et la richesse d’un collectif ayant été impliqué dans des recherches spécifiques, ayant travaillé sur un temps long et ayant interrogé avec des universitaires les résultats de la recherche ou les innovations en France et à l’étranger. Mais mieux : les nouvelles modalités de certification aux fonctions de Formateur Académique semblent conforter cet état de fait. Le jury proposé par le décret prévoit 6 personnes : un représentant du recteur, un chef d’établissement, deux inspecteurs dont un seul semble représenter la discipline, un formateur académique déjà en poste et enfin seulement un enseignant de l’ESPE ! Où sont les recherches et les innovations ? Où est la didactique ? Les IREM cultivent un vivier de formateurs-enseignants, pointus sur un domaine précis, irrigués par de la recherche, capable de faire de la formation continue collective sur un point précis, embarquant des jeunes formateurs qui mettent le pied à l’étrier avec des formateurs plus expérimentés… Ce que l’on nous prévoit semble être un vivier de formateurs professionnels, partiellement déchargés, mais dont il n’est nullement question dans le texte qu’ils participent à des recherches collaboratives, dont il n’est nullement question qu’ils s’imprègnent des recherches françaises, internationales, didactiques etc. Quel sera le rôle de ces formateurs « professionnels » dans la formation continue ? Nos dispositifs spécifiques de formation continue pourront-ils même toujours exister ?

Des échanges secondaire-supérieur encouragés

On nous expliquait enfin (mesures 3 & 4) que les échanges entre universitaires et enseignants seraient favorisés, que la signature de conventions entre les IREM et les ESPE seraient encouragées. Mais qui encourage et qui favorise si ce n’est pas le ministère ? Ces échanges secondaire-supérieur avaient été clairement mis en avant par le compte rendu de la première réunion de la commission de suivi de la stratégie mathématique, le 27 mars 2015 : la DGESIP devait se rapprocher des directeurs des UFR de mathématiques et de la conférence des présidents d’universités pour interroger la possibilité de partenariats didactiques et pédagogiques entre l’enseignement supérieur et l’enseignement primaire et secondaire. Qu’avons-nous aujourd’hui ? Rien ! Aucune mesure incitative et c’est seulement la bonne entente entre les acteurs locaux qui fait ici et là avancer les choses. Mieux, la DGESIP assume pleinement que la formation continue des enseignants n’est pas une priorité et qu’elle se centre sur la formation initiale. Comment peut-on oser dissocier formation initiale et formation continue des enseignants alors que la première est toujours en pleine crise et que la seule façon de faire en sorte que nos jeunes collègues soient bien formés est justement de soutenir une formation continue de qualité dès leurs premières années d’exercice ? Il est aussi clair que les IREM impactent également la formation initiale des enseignants mais pourtant leur financement n’est pas important pour la DGESIP !

Tous les grands textes ministériels nous encouragent mais c’est pourtant une lutte avec une énergie considérable pour pouvoir survivre et assurer notre mission de formation et de production de ressources. Sur bien des points, on se heurte à une impossibilité des actions possibles, soit par manque de moyens financiers, soit par une autonomisation à outrance des décideurs, soit aussi par inertie d’un système alambiqué qui ne facilite pas ses évolutions.

Une réalité bien morose

L’IREM d’Orléans sort à peine la tête de l’eau que c’est maintenant l’IREM de Nantes qui est menacé de fermeture par son président d’Université. Nous espérons que la mobilisation locale des collègues évitera le naufrage. Globalement les universités mettent de plus en plus souvent à mal leur IREM et le ministère ne peut rien faire : les universités sont maintenant indépendantes et c’est donc difficile de préserver nos structures ainsi que nos services d’enseignants universitaires, dans les départements disciplinaires ou les ESPE, qui sont nécessaires à la bonne marche des IREM. Nous sommes bien soutenus pour la partie enseignement secondaire, avec la DGESCO qui donne beaucoup d’heures au réseau, mais il est important d’avoir également des reconnaissances universitaires. En fait le travail des universitaires ou des formateurs dans des groupes IREM pourrait être reconnu et valorisé comme de la formation de formateurs. Mais c’est difficile. Je ne m’étends d’ailleurs pas sur le modèle qui s’impose plutôt et qui est proposé dans les Parcours Ingénierie de Formation des masters MEEF : une formation de formateurs en grands groupes pluridisciplinaires, de fait désincarnée des spécificités des contenus, pilotée par la pénurie d’argent des universités et non pas par un quelconque intérêt didactique. Les groupes IREM pourraient être bien mieux associés aux formations MEEF et à l’accompagnement des jeunes collègues mais c’est rarement l’option mise en oeuvre. Je ne m’étends pas non plus sur les nouveaux programmes de collège et leur mise en place adhérente sur tous les niveaux des cycles, sur la nouvelle option informatique au CAPES qui contribue à minorer les exigences mathématiques demandées aux candidats, ou encore sur l’importance de la diffusion des mathématiques au moment où le salon des jeux mathématiques du CIJM en est réduit à organiser une collecte sur le site kisskissbankbank.com pour survivre.

... Et des IREM toujours actifs

Colloque irem strasbourg

Que dire de positif dans ce paysage de Stratégie mathématiques ? Que le réseau des IREM s’est tout de même bien investi dans la production de ressources pour l’accompagnement des nouveaux programmes de collège et pour le futur portail mathématique. Nous espérons que les ressources produites ou référencées paraîtront bientôt. Que pour la première fois un colloque national du réseau des IREM a été inscrit au Plan National des Formation. Que cela a tout de même drainé à Rouen une cinquantaine de formateurs académiques et inspecteurs venant pour la plupart fréquenter les IREM pour la première fois. Et qu’en 2017 ce seront deux colloques qui seront inscrits au PNF : un colloque à Poitiers sur le cycle 3 et le traditionnel colloque de la CORFEM.

Le réseau des IREM tisse aussi des liens avec la Conférence des Doyens d’UFR Sciences dans un partenariat tripartite avec UNISCIEL pour la production de ressources à la transition lycée-université : des groupes IREM Lycée-Université vont pouvoir se relancer ou se créer autour de ce projet, fédéré par la C2I Université, (commission inter-IREM université) permettant souvent de remotiver des collègues universitaires pour travailler avec des collègues du secondaire. Un projet e-FRAN accepté dans lequel nous sommes partenaires pour un travail à engager sur les tablettes autour de la C2I TICE. Un projet avec Class’Code pour enrichir des ressources sur l’algorithmique etc etc…

Pas de chômage donc dans les IREM. Et notre colloque international à Strasbourg (affiche sur cette page) qui arrive à grand pas. Un succès a priori puisque nous serons à peu près quatre-vingt dont j’espère une bonne trentaine de collègues francophones étrangers, d’une dizaine de pays, venus voir avec convoitise comment l’Astratégie mathématiques a remis notre discipline et notre Ecole au premier rang mondial...

Fabrice Vandebrouck, le 20 mai 2016

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