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Suite aux annonces du ministre de l'Éducation Nationale et de la Jeunesse, après les résultats de l'enquête PISA, nous avons cherché à en savoir un peu plus sur l'outil d'IA pour les mathématiques, fondé sur des travaux de recherche en psychologie cognitive, développé par la société EvidenceB. Nous sommes conscients de n'avoir eu accès qu'à une version de démonstration, mais tout ce que nous avons pu expérimenter dans cette version nous interpelle sur la qualité et le sérieux de cet environnement. Nous ne pouvons croire qu'il s'agit d'une version beta de ce qui sera déployé à grande échelle en janvier prochain pour la remédiation dans les classes de seconde. Les chapitres semblent faire des références évidentes à des niveaux de l'école élémentaire et ne sont pas adaptés à des élèves de seconde. Néanmoins, même pour le niveau élémentaire, ce qui est donné à voir ne donne pas une image satisfaisante, raisonnable et ambitieuse de ce que devrait être la formation en mathématiques des  élèves. Nous pouvons étayer notre propos par quelques exemples  significatifs de ce que nous avons pu observer.

Concernant le module "Nombres et Calculs", objectif 6, Activité A1, exercice 4, il est proposé « Anna et Joseph lisent le même livre. Anna a lu les sept huitièmes du livre alors que Joseph a lu les trois huitièmes du livre. Quelle est la fraction du livre qu'Anna a lu en plus que Joseph ?» et la réponse 1/2 est considérée comme une mauvaise réponse ! Concernant le module "Comprendre les notions de proportion et de fraction", objectif 5, Activité A2, exercices 1 à 15, les formulations des consignes et des rétroactions de l'IA sont déroutantes. Nous ne comprenons pas en quoi les illustrations sont d'une quelconque utilité ou aide et les réponses encouragent la systématisation de la réduction au même dénominateur au détriment de toute autre procédure. Cela ne semble pas être une bonne interprétation des travaux sur le sujet, qu'ils soient de l'ordre de la psychologie cognitive ou de la didactique des mathématiques. Nous pourrions poursuivre bien au-delà de ces quelques exemples et malheureusement tout semble très discutable dans les activités proposées. En termes d'IA, nous n'avons pas exploré ce qui relève des retours qui peuvent être faits pour les enseignants, mais nous ne sommes pas du tout impressionnés par l'usage de l'IA pour ce qui est de la variation des énoncés --il ne semble pas y en avoir-- de la variation des rétroactions --il ne semble pas y en avoir-- du type des réponses, qui se limitent très souvent à « Essaie encore » ou « Fais travailler ton intuition » etc. Cet outil ne semble pas non plus avoir pris en compte les travaux de recherche sur les Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain (EIAH). Nous ne ferons pas plus de commentaires sur le niveau de langage en français utilisé dans ces modules. Il est impressionnant de constater autant de fautes d'orthographe, de grammaire et d'expression dans un outil qui est censé faire aussi travailler la langue.Cet outil dont la mise en œuvre expérimentale dès janvier 2024 et la généralisation à toutes les classes de seconde dès la rentrée 2024 ont été annoncées ne remplit absolument pas les conditions qu’on attend d’un tel outil ; son usage généralisé risque même d’aggraver les difficultés des élèves en mettant l’accent sur les aspects techniques des mathématiques, au détriment de l’accès au sens qui nécessite les interactions avec les enseignants et les pairs. Il doit donc impérativement être retiré.

Le choix d’une société privée, EvidenceB, pour développer un tel outil engendre des coûts très élevés, sans aucune garantie que le produit élaboré permettra d’atteindre les objectifs en termes d’amélioration de l’apprentissage des mathématiques. Ceci est d’autant plus incompréhensible que les compétences nécessaires pour ces objectifs sont disponibles au sein de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, en appui sur les travaux de recherche sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques développés depuis des décennies en lien étroits avec les enseignants de la maternelle à l’université, et avec les corps d’inspection, notamment au sein des IREM (Institut de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques).

Nous souhaitons vous rencontrer dans les meilleurs délais afin d'échanger avec vous sur ce sujet, pour vous alerter sur les effets délétères à prévoir si cet outil était effectivement mis en place et pour discuter avec vous des solutions alternatives à développer au sein de la communauté éducative nationale concernée par l’enseignement des mathématiques.

Dans l’attente de votre réponse à notre demande de rencontre, nous vous prions d’accepter l’expression de nos sentiments les meilleurs.

Viviane Durand-Guerrier
Professeure émérite de l’Université de Montpellier
Présidente de la CFEM