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Enseignants de mathématiques: crise du recrutement ?

Une vision stratégique nécessaire

Nous rassemblons ici un ensemble d'informations concernant le recrutement des professeurs de mathématiques: le communiqué de presse du 2 juillet 2015, des échos de presse de l'été 2014, le communiqué de la CFEM du 15 juillet 2014, qui actualise celui du bureau de la CFEM du 2 mai 2014 et les échanges postérieurs. Pour des éléments de fond, voir l'article de Pierre Arnoux dans Tangente éducation en 2013: La crise très prévisible du recrutement des enseignants.

Discussion en cours, en relation avec la question plus générale de l'attractivité des mathématiques.

Le 1er octobre 2015, le MENESR publiait une circulaire précisant le nouveau statut des "étudiants apprentis professeurs", que Pierre Arnoux commentait dans le bulletin de liaison 34 de la CFEM (décembre 2015).

Le communiqué de presse du 2 juillet 2015

Pour enseigner (les mathématiques), il faut des professeurs

Nous venons d’apprendre les résultats du CAPES externe de mathématiques : 1097 admis en liste principale (et pas de liste supplémentaire) pour 1440 postes soit 343 postes perdus (= 23,8%). La crise du recrutement des enseignants, en particulier dans certaines disciplines, est bien confirmée, voire amplifiée, d’année en année.

Cette crise vient de loin. La réforme ratée, dite "mastérisation", de Nicolas Sarkozy a profondément détérioré le système de formation des enseignants, et provoqué une chute du nombre de candidats aux concours de recrutement, à un moment où les besoins s'avéraient élevés. Il a donc fallu en 2012 trouver un moyen d'attirer plus de candidats. Le gouvernement a choisi le système des Emplois d'Avenir Professeurs (EAP), malgré les défauts relevés par un certain nombre d'experts. Ce système, mal cadré, géré de façon très disparate suivant les académies, peu financé, non évalué pendant 2 ans, n'a pas permis de faire remonter les candidatures dans les disciplines déficitaires, pour deux raisons : il y avait dans ces disciplines peu de candidats satisfaisants les conditions nécessaires pour être EAP, et le travail exigé des EAP ne permettait pas aux quelques étudiants recrutés de réussir leurs études dans de bonnes conditions.

En décembre 2014, la CFEM s’est fortement impliquée dans la «Stratégie Mathématiques» du Ministère de l’Éducation nationale, qui avait pour objectif de développer l’enseignement des mathématiques sous toutes ses formes pour le rendre plus attractif. Cette mobilisation a permis, entre autres activités, l’organisation du Forum Mathématiques Vivantes, à Paris, Lyon et Marseille, sur le thème « Les mathématiques nous transportent », les 21 et 22 mars dernier. Dans les réunions de la commission de suivi de cette Stratégie Mathématiques - la dernière était le 16 juin dernier - nous avons régulièrement posé la question du recrutement des enseignants, en soutenant la perspective d’un pré-recrutement des enseignants en première année de licence, dispositif qui a fait ses preuves à d’autres moments de crise de recrutements. Cette perspective n’a jamais été retenue – à vrai dire jamais discutée.

Lire la suite du communiqué

Echos de presse

Sélection d'articles parus depuis le 29 avril 2014...

Communiqué de la CFEM du 15 juillet 2014

Les résultats du concours du CAPES 2014 viennent d'être publiés dans plusieurs disciplines. En mathématiques, on a recruté 836 personnes pour 1243 postes proposés (67%), en anglais 917 personnes pour 1000 postes (92%), en lettres modernes 887 personnes pour 1070 postes (83%), et en lettres classiques, 99 personnes pour 200 postes (50%). La session 2014 exceptionnelle du CAPES avait donné des chiffres encore plus désastreux, avec 793 reçus pour 1592 postes en mathématiques (50%), 823 reçus pour 1260 postes en anglais (65%), 921 reçus pour 1160 postes en lettres modernes (80%), et 93 reçus pour 300 postes en lettres classiques (31%); les résultats avaient déjà été mauvais pour le CAPES 2013. Sur ces trois sessions, il aura manqué 1600 reçus en mathématiques. On peut constater le même problème à l'agrégation, avec 275 reçus pour 395 postes proposés à l'agrégation de mathématiques. Ces chiffres mettent à nouveau sur le devant de l'actualité les problèmes récurrents de recrutement des enseignants.

Ces problèmes étaient prévus ; leurs causes sont connues, comme les solutions que l'on peut y apporter. Les recrutements d'enseignants, dans le premier degré comme dans le second degré, et dans toutes les disciplines, ont connu depuis 50 ans des fluctuations de très grande ampleur (des rapports de 1 à 10, dans un sens ou dans l'autre). Ces fluctuations étaient souvent décorrélées des besoins réels, et résultaient d'autres considérations. Les résultats d'une telle politique sont très néfastes de plusieurs points de vue :

  • ces conditions créent un corps enseignant dont la démographie n'est pas stationnaire, et qui subit donc des coups d'accordéon suivant les cohortes partant en retraite ;
  • elles soumettent le système de formation des enseignants à des contraintes qui rendent difficile un bon fonctionnement : suivant les années, on constate un trop plein de candidats, avec un fort taux d'échec et un gâchis de compétences, ou au contraire un manque de candidats, ce qui conduit à recruter des enseignants d'un niveau qui n'est pas optimal, même si comme en mathématiques on pourvoit seulement les deux tiers des postes offerts ;
  • le jury doit alors arbitrer entre recevoir au concours des candidats qui ont une faible maitrise des contenus à enseigner, y compris au niveau du collège, ou ne pas pourvoir tous les postes. Ces conditions rendent aussi très difficile la réponse aux besoins des établissements, comme on le constate aujourd’hui.
  • Nous sommes actuellement dans une grave crise due aux réformes récentes et à une gestion désastreuse des ressources humaines; ce n'est pas une situation inédite, puisqu'elle s'est déjà produite au début des années 60 et au milieu des années 80. Comme cela s'est passé à l'époque, on peut espérer sortir de cette crise si le système de recrutement des enseignants se met à fonctionner de façon satisfaisante dans les années qui viennent. Il faut mettre en place une politique adaptée de gestion de ces recrutements, et un système de bourses et de pré-recrutements gérés avec attention.

La chute du nombre des candidats que nous venons de vivre est due à des facteurs multiples qui ont conduit à une forte baisse du vivier de recrutement. On peut citer :

  • une baisse du nombre de postes offerts, qui entraîne très logiquement, avec un certain retard (au minimum 3 ans, le temps d'une licence), une baisse des candidatures (on peut espérer que la hausse récente du nombre de postes entrainera d'ici 2 à 3 ans une augmentation du nombre de candidatures) ;
  • l'allongement du nombre d'années d'étude à la charge de l'étudiant, dû à la réforme de mastérisation (même si la réforme récente plaçant le concours en quatrième année a amélioré les choses) ;
  • la mauvaise gestion du dispositif des Emplois d'Avenir Professeur (EAP) qui n'a pas permis d'augmenter significativement le nombre de candidats ;
  • les conditions de salaire, et le fait souvent répété que les salaires des enseignants français, en début et milieu de carrière, sont nettement en-dessous des salaires des enseignants de la plupart des autres pays de l'OCDE ;
  • ainsi que des facteurs plus spécifiques aux mathématiques : la concurrence avec d'autres professions, également due à la réforme de mastérisation ; la baisse du pourcentage de femmes (peut-être due à une orientation préférentielle vers les études médicales) qui a diminué le nombre de candidats potentiels ; la concurrence possible avec l'informatique pour les débouchés.

Cette situation ne devrait pas exister, surtout à une époque où le taux de chômage est important : on rencontre toujours un bon nombre d'étudiants qui désirent être enseignants ; une gestion saine des recrutements, et une refonte du système des EAP après évaluation, devraient répondre à la plupart de ces obstacles, et rendre la profession attractive. La situation actuelle conduit à espérer qu’on ne devrait pas manquer, à l’avenir, de candidats motivés et compétents. Mais on risque de retrouver une situation de crise d'ici 5 ans ; en effet, le départ en retraite des classes peu nombreuses recrutées à la fin des années 70 va, si l'on n'y prend garde, faire chuter très fortement les besoins de recrutements, et fragiliser à nouveau le système de formation des enseignants. Ceci conduirait, dans les années suivantes, à une baisse du niveau des nouveaux enseignants, et à la perpétuation d'une composition démographique déséquilibrée.

Il est donc urgent de faire des prévisions sur les recrutements des prochaines années, dans une optique de moyen terme, pour lisser les flux de recrutements, de faire rapidement une évaluation du système des EAP qui ne fonctionne pas bien, et de créer un système pérenne de bourses et de pré-recrutements pour attirer des candidats de valeur. Le but est de tendre, comme cela se fait dans d'autres professions, vers des flux stationnaires. Il faudra donc recruter un peu moins qu'il ne serait strictement nécessaire en période de fort départ en retraite (ce que l'on a fait avec excès et brutalité ces dernières années), et un peu plus en période de faibles départs, comme ce sera le cas d'ici quelques années. On ne peut pas se contenter d'agir au jour le jour, et de traiter les recrutements comme une variable d'ajustement, sans vision stratégique : le recrutement d'un enseignant engage le pays pour 40 ans.

Luc Trouche, pour la CFEM, le 15 juillet 2014

Prise de position du bureau de la CFEM du 2 mai 2014

Les recrutements d'enseignants, dans le premier degré comme dans le second degré, et dans toutes les disciplines, ont connu depuis 50 ans des fluctuations de très grande ampleur (des rapports de 1 à 10, dans un sens ou dans l'autre). Ces fluctuations étaient souvent décorrélées des besoins réels, et résultaient d'autres considérations. Les résultats d'une telle politique sont très néfastes de plusieurs points de vue. Ces conditions créent un corps enseignant dont la démographie n'est pas stationnaire, et qui subit donc des coups d'accordéon suivant les cohortes partant en retraite. Elles soumettent le système de formation des enseignants à des contraintes qui rendent difficile un bon fonctionnement : suivant les années, on constate un trop plein de candidats, avec un fort taux d'échec et un gâchis de compétences, ou au contraire un manque de candidats, ce qui conduit à recruter des enseignants d'un niveau qui n'est pas optimal, même si comme en mathématiques seulement environ la moitié des postes offerts sont pourvus. Un certain nombre de candidats reçus au concours ont une très faible maitrise des contenus à enseigner y compris au collège. Ces conditions rendent aussi très difficile la réponse aux besoins des établissements, comme on le constate aujourd’hui.

Nous sommes actuellement dans une grave crise due aux réformes récentes ; ce n'est pas une situation inédite, puisqu'elle s'est déjà produite au début des années 60 et au milieu des années 80. Comme cela s'est passé à l'époque, on peut espérer sortir de cette crise si le système de recrutement des enseignants se met à fonctionner de façon satisfaisante dans les années qui viennent. Il faut mettre en place une politique adaptée de gestion de ces recrutements. La chute du nombre des candidats que nous venons de vivre est due à des facteurs multiples qui ont conduit à une forte baisse du vivier de recrutement. On peut citer : une baisse du nombre de postes offerts, qui entraîne très logiquement, avec un certain retard (au minimum 3 ans, le temps d'une licence), une baisse des candidatures ; on peut espérer que la hausse récente du nombre de postes entrainera d'ici 2 à 3 ans une augmentation du nombre de candidatures ; l'allongement du nombre d'années d'étude à la charge de l'étudiant, dû à la réforme de mastérisation, même si la réforme récente plaçant le concours en quatrième année a amélioré les choses ; la concurrence avec d'autres professions qui ont des arguments convaincants, également due à la réforme de mastérisation ; la baisse du pourcentage de femmes (peut-être due à une orientation préférentielle vers les études médicales) qui a aussi diminué le nombre de candidats potentiels ; la concurrence possible avec l'informatique pour les débouchés ; les conditions de salaire, et le fait souvent répété que les salaires des enseignants français, en début et milieu de carrière, sont nettement en-dessous de la moyenne des enseignants de l'OCDE.

Cette situation ne devrait pas exister : on rencontre toujours un bon nombre d'étudiants qui désirent être enseignants ; une gestion saine des recrutements devrait répondre à la plupart de ces obstacles, et rendre la profession attractive. La situation actuelle conduit à espérer qu’on ne devrait pas manquer, à l’avenir, de candidats motivés et compétents. Mais on risque de retrouver une situation de crise d'ici 5 ans ; en effet, le départ en retraite des classes très faibles recrutées à la fin des années 70 va, si l'on n'y prend garde, faire chuter très fortement les besoins de recrutements, et fragiliser à nouveau le système de formation des enseignants. Ceci conduirait, dans les années suivantes, à une baisse du niveau des nouveaux enseignants, et à la perpétuation d'une composition démographique déséquilibrée.

Il est donc urgent de faire des prévisions sur les recrutements des prochaines années, dans une optique de moyen terme, pour lisser les flux de recrutements. Le but est de tendre, comme cela se fait dans d'autres professions, vers des flux stationnaires. Il faudra donc recruter un peu moins qu'il ne serait strictement nécessaire en période de fort départ en retraite (ce que l'on a fait avec excès et brutalité ces dernières années), et un peu plus en période de faibles départs, comme ce sera le cas d'ici quelques années. On ne peut pas se contenter d'agir au jour le jour, et de traiter les recrutements comme une variable d'ajustement, sans vision stratégique : le recrutement d'un enseignant engage le pays pour 40 ans.

Pierre Arnoux, Michèle Artigue et Luc Trouche, le 2 mai 2014

Des réactions

1. De Marianne Auxenfans, le 17 mai 2014

Le communiqué de la CFEM vient à point pour alimenter le débat après la publication des admissions au CAPES exceptionnel (50% de postes perdus en math, mais aussi 32% en Arts plastiques, 11% en SES, etc). Il pointe des aspects importants de la situation: les effets néfastes des à-coups dans la politique de recrutement, la nécessité de prévoir les recrutements futurs en évitant ces à-coups, avec une vision stratégique à long terme…. Du point de vue "de l'aval " qui est le mien en tant qu' ex-prof d'Histoire-Géo, militante syndicale (SNES) dans le second degré et aussi parent d'élève lambda, d'autres aspects, complémentaires, sont aussi à prendre en compte.

Tout d'abord, les prévisions de recrutement, indispensables, devraient prendre en compte à la fois la démographie enseignante, dont les départs prévisibles en retraite, et les évolutions démographiques du côté des élèves. Deux notes de la DEPP ont récemment souligné que les effectifs vont encore croître, dans le premier comme dans le second degré, aux rentrées 2014 et surtout 2015, et que cette dynamique se poursuivra au delà (tant que la natalité toujours élevée depuis le début des années 2000 ne fléchira pas). Les besoins à court terme sont donc tels qu'« espérer » ne pas manquer, à l'avenir, de candidats motivés et compétents ne doit pas dispenser d' « entreprendre » des mesures d'urgence, sans attendre !

Il faut mesurer l'état d'extrême tension où est arrivé le service public d'éducation : en collèges et lycées, alors que les effectifs d'élèves, après un creux en 2008 et 2009, sont déjà remontés à moins de 4 points de leur niveau de 2002, les effectifs de profs se situent aujourd'hui à 13 points en-dessous de leur niveau de 2002 (pour les Maths, et pour d'autres disciplines dont les Lettres, les SVT, etc…. c'est pire). Depuis 2012, les effectifs d'élèves grimpent toujours, les recrutements restent à la traine, la tension sur les effectifs par classe, le remplacement, les conditions de travail, le respect des horaires dus aux élèves…. ne se réduit donc pas.

Chaque rentrée où l'on accueille davantage d'élèves avec (encore) moins de titulaires a un coût en terme d'échecs supplémentaires pour les élèves les plus vulnérables, de dégradation des conditions d'études de tous, et de souffrance au travail des personnels. Il n'est donc pas pensable de laisser les choses aller sans réagir. Evidemment le moyen terme doit nous préoccuper, mais on ne peut négliger d'agir dès maintenant autant qu'on peut le faire, dès la session de concours 2014 (afin de limiter la casse à la rentrée 2014), et pour inverser la tendance dès la session 2015 (afin d'éviter un crash à la rentrée 2015).

La nécessité de mesures d'urgence ne s'oppose pas, au contraire, à un plan pluriannuel de recrutement ouvrant des perspectives lisibles, dans chaque discipline (pour le 2d degré) aux candidats aux métiers de l'enseignement, étudiants ou autres. Ce travail d'anticipation dessinerait aussi un horizon collectif, en fonction duquel l'appareil de formation initiale pourrait être développé et ajusté pour répondre aux besoins de l'Education nationale à différentes échéances. Actuellement, les besoins de recrutement par discipline n'étant pas chiffrés ni publiés, les décisions en matière d'ouverture ou fermeture de filières, de carte des formations, etc…. sont prises au coup par coup, selon des arbitrages locaux le plus souvent budgétaires , sans visibilité sur leur adéquation ou non aux besoins de recrutement futurs au plan national. Y a-t-il un tableau de bord dans l'avion ?

Avec un fonctionnement aussi erratique et pour tout dire, aberrant, rien ne garantit qu'au final les élèves auront bien, partout et dans toutes les disciplines, les profs titulaires et formés dont ils auront besoin d'ici 3, 5 ou 10 ans…. Or, couvrir les besoins de l'Education nationale en personnels titulaires et formés est une des finalités permanentes de l'enseignement supérieur - et une obligation de l'Etat, responsable de la scolarisation de +/- 12 millions d' élèves. Dès lors qu'il prétend former et recruter davantage d'enseignants que pendant les années de RGPP, et qu'il y a davantage d'inscrits, ce qui est heureux, l'investissement de l'Etat employeur dans la formation de ses futurs personnels devrait "suivre" à proportion…. Or il n'a pas "suivi" : les témoignages abondent sur les réductions horaires, transformation de TD en cours magistraux… auxquelles les ESPE et universités ont été acculées, en l'absence des moyens supplémentaires fléchés FDE qui auraient du y être injectés par l'Etat.

Quels que soient les efforts consentis par les formateurs, il y a un moment où former plus de monde à moyens constants voire en baisse finit par avoir des incidences sur le nombre de candidats qu'on arrive à mener à un niveau suffisant pour réussir… Il n'y a pas que dans l'enseignement scolaire que les recrutements "en accordéon" des enseignants titulaires ont des effets différés fâcheux : dans le supérieur aussi, et en l'espèce dans l'appareil de formation initiale des enseignants, ne pas remplacer les départs en retraite, dégrader les conditions de travail, précariser… c'est se préparer d'ici peu de graves difficultés, alors qu'être en capacité de former des enseignants n'est pas une "option", mais une nécessité permanente pour entretenir - et améliorer - le service public d'éducation.

Reste la situation des candidats aux concours. Comme celle des étudiants en général, elle est financièrement fragile. Or la session exceptionnelle 2014 a été marquée par….. la suppression des aides financières aux candidats aux concours, qui avaient leurs limites, mais un double intérêt quand même puisque, n'impliquant pas de contrepartie travail, elles ne rognaient pas le temps consacré à l' étude, tout en étant ouvertes à tous (boursiers et non boursiers). Aujourd'hui il y a des postes aux concours, mais paradoxalement plus aucune mesure financière permettant à une masse critique d'inscrits de se préparer à temps plein, dans un collectif encadré par l'université, donc avec une bonne chance de réussite…. En fait d'élargissement du vivier, le ministère a ouvert le concours exceptionnel aux inscrits en M1, mais n'a pas fait le nécessaire pour susciter davantage de candidats, en proposant par exemple des solutions efficaces aux diplômés au chômage (pour qui s'inscrire en fac en vue d' accéder à une préparation encadrée revient à perdre l'indemnisation qui leur permet de vivre….).

S'il y a autant de postes perdus à la session exceptionnelle, et si l'on peut nourrir de sérieuses craintes pour la session "rénovée" 2014, c'est bien parce que la politique menée depuis 2012 par le gouvernement a été contradictoire : afficher des postes - mais sans rien faire pour qu'ils soient pourvus, à part croiser les doigts. En pleine crise de recrutement, la pensée magique ne suffit pas, CQFD ! A mon sens imputer la crise de recrutement « aux réformes récentes » c'est perdre de vue qu'elle s'est amorcée dès le début des années 2000, bien avant la « masterisation », comme attesté par plusieurs rapports officiels (sur les IUFM en 2001, rapport Obin 2002, rapport IG 2013). Elle est surtout le fruit d'un désengagement de longue durée de l'Etat à l'égard de l'investissement éducatif (dévalorisation des bourses, dévalorisation salariale, transfert de dépenses sur les collectivités et les ménages, réduction des horaires à tous les étages….).

Mais peu importe : si les avis sont partagés sur l'historique de la pénurie actuelle, tout le monde peut se retrouver sur le même constat alarmant, et sur la question: et maintenant, que fait-on pour "optimiser" la "production" de profs titulaires et solidement formés, dont les élèves ont impérativement besoin pour réussir, à partir du vivier de candidats tel qu'il est ? Peut-on continuer benoîtement à laisser ces candidats autofinancer leurs études en les renvoyant aux ressources familiales aléatoires, ou aux petits boulots étudiants qui fabriquent de l'échec - précisément au moment où il faudrait sécuriser la réussite du maximum d'entre eux ? Peut-on encore se bercer d'illusions sur le dispositif EAP, dont l'inadéquation a déjà été pointée par l'Inspection Générale dès son rapport de juillet 2013, confirmé depuis par les chiffres du ministère - en Maths 200 EAP en mars 2014, disons un tiers actuellement en M1, soit +/- 65 candidats au CAPES Maths rénové qui offre…. 1243 postes.... sachant que les EAP qui seraient reçus au concours ne sont tenus par aucun engagement à enseigner ensuite…

Comme le rappelle la CFEM, le service public d'éducation a déjà connu des crises de recrutement, liées à la massification du collège (années 60) puis à celle du lycée (années 80). Dans les deux cas, des investissements ont été consentis par la collectivité nationale pour en sortir "par le haut" (IPES, cycles préparatoires divers, allocations...). Ces solutions ont fait la preuve de leur efficacité, à la fois en terme de volume et en terme de qualité des enseignants ainsi "produits" : un prérecruté s'engage à suivre à temps plein une formation renforcée, lors du concours de recrutement il a donc toutes les chances d'avoir acquis un bon niveau, y compris s'il avait des lacunes au départ. Cerise sur le gâteau : un prérecruté s'engage à exercer au service de l'Etat plusieurs années après sa réussite au concours, celui-ci est donc assuré de « récupérer la mise » investie, et peut anticiper précisément la réalisation des recrutements planifiés.

Outre une revalorisation qui est incontournable, la seule « politique adaptée de gestion des recrutements » capable de répondre à la gravité de la crise est donc un plan pluriannuel de recrutement assorti de prérecrutements, avec un réel investissement de l'Etat-employeur à la clé. La création de prérecrutements est proposée par l'Inspection Générale (juillet 2013). Les premiers effets peuvent en être très rapides:

  • en prérecrutant des candidats en vue des concours 2015, on peut s'assurer un fort taux de réussite et donc des recrutements en nombre ET en qualité pour la rentrée 2015.
  • en prérecrutant en licence à compter de la rentrée 2014, on sécurisera des lauréats pour les rentrées 2016 et 2017.

Rien n'interdit de prendre d'autres mesures facilitatrices complémentaires, certaines seraient peu coûteuses, mais sans prérecrutements, on ne s'en sortira pas - et les élèves paieront la note. Or les jeunes générations ont droit, ce n'est pas négociable, à bénéficier d'un enseignement de qualité, dans des conditions qui assurent la réussite de tous, donc avec des enseignants titulaires, mieux formés et plus nombreux.

2. Une réponse de Pierre Arnoux (CFEM)

Je suis d'accord avec ce que vous dites. Nous avons voulu un communiqué court et ciblé, car l'expérience montre que le temps d'attention que l'on peut espérer d'un responsable politique ne dépasse pas la demi-page, et ce qu'on appelle en mathématiques "le raisonnement à un pas".

Comme vous le savez, je milite depuis des années pour le pré-recrutement. De ce point de vue, la mise en place des EAP me désespère : Le gouvernement à mis de l'argent dans l'affaire (environ 10-20% de ce qui serait nécessaire), et, pour des raisons de politique interne, il l'a fait de telle façon que cet argent est perdu. Comme il s'agissait au départ d'emplois pour les jeunes chômeurs défavorisés, dont le ministère de l'éducation avait pris un contingent au ministère du travail, celui-ci a veillé à ce que ces emplois "volés" au bénéfice d'étudiants à Bac+2 et au-delà soient assortis de conditions strictes : obligation de bourses, et surtout, 12 heures de travail par semaine; or on sait que ce niveau d'horaire est à la limite du décrochage pour un étudiant (et personne n'imaginerait de demander cela à un étudiants en première année de médecine, ou en classe préparatoire). Le résultat, comme l'a montré le directeur de l'IREM de Montpellier, est que ces EAP conviennent à deux sortes d'étudiants : les redoublants, et ceux qui ont décroché et arrêté de suivre leurs études (Montpellier étant une académie très attractive, on peut supposer que la situation, du point de vue des EAP, n'est pas meilleure ailleurs). Tous les étudiants sérieux renoncent aux EAP. Je ne sais pas comment faire passer le message aux responsables.

D'accord aussi pour ce que vous dites sur l'université. Depuis des années, quand je rappelle que c'est l'université qui forme les enseignants, on me répond, à tous les niveaux du système, depuis le responsable de licence jusqu'aux membres du cabinet: "l'université n'a pas pour seule fonction de former des enseignants", rapidement raccourci en "l'université n'a pas pour fonction de former des enseignants", car il est apparemment dévalorisant de former des enseignants au lieu de former les futurs cadres dirigeants. Le seul endroit qui est vraiment équipé pour former des enseignants, les ESPE, est en train de mettre en marche une usine à gaz qui va mécaniquement, pour le premier degré, former 50% de chômeurs, puisque d'après les chiffres que j'ai vus il y a 2 fois plus d'étudiants que de postes... On arrive donc à avoir un manque dans certains domaines, et un trop-plein dans d'autres. Les deux auront assez vite un résultat toxique. On peut effectivement se demander s'il y a un pilote dans l'avion.

3. De Didier Gruat, le 4 juin 2014

Il serait intéressant de mettre en relation le nombre de moyens mis à la disposition des enseignants d'une</x> discipline ( surface des salles de classe + laboratoire+ dépôt, crédit pédagogique, surplus horaire par rapport à l’horaire planché, nombre d’heures d’enseignement à effectif réduit, etc.) et l'attractivité du CAPES de cette discipline (quotient du nombre de postes par le nombre de candidats). J'enseigne les mathématiques dans un collège et j'ai le sentiment que les professeurs de mathématiques sont les derniers servis :

  • Pas de salle de classe attribuée au prof de math;
  • Moyen financier faible, car nous n'aurions pas de besoin (il est vrai que sans une salle de classe attribuée à l'enseignement des mathématiques, il est difficile d'envisager des investissements !);
  • Lors de la répartition horaire, les mathématiques sont servies en dernier et souvent n'ont pas les moyens horaires prévus par le B.O.;
  • Lors de la constitution des emplois du temps, les autres disciplines ayant des contraintes (installations sportives, salles de classe spécialisées, groupe d'élèves à effectif réduit et les mathématiques n'en ayant pas puisque l'institution refuse toute demande de notre part), les mathématiques servent de variable d'ajustement.

Bref, le mépris affiché vis-à-vis des mathématiques de la part de l'EN est, à mon sens, une cause majeure de la crise de recrutement ! A méditer !

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Page actualisée le 12 octobre 2014
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